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L'Horloge médiévale Wrebbit
est
fière de vous présenter << L'Horloge médiévale >>, premier
chef-d'oeuvre de sa nouvelle collection de carton.
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Ce
fut au temps qu'arbres perdent leur pature et que vent, pluie et mer emportent
ce dernier vestige de l'été dans leur tourmente. Lors le
roi Ragnard, dont le coeur ressemblait aux paysages désolés
de l'hiver, décida d'aller trouver son frère Elias, qui régnait
sur la plus grande partie du pays.
"Par mon âme, se dit-il en traversant son royaume ravagé par les guerres et la famine, si je ne parviens à m'emparer des richesses de mon frère, mes coffres seront bientôt plus vide que la cervelle de mes paysans. Et comme Caïn, de triste mémoire, ma vie ne sera plus que long exil." En se parlant ainsi, il observait ses paysans affairés aux dernières moissons. L'un d'eux, loqueteux et sec comme le vieux bois, peinait à suivre les autres dans leur travail. Ragnard lui reprocha de fainéanter, puis descendit de cheval pour lui servir une correction, le trainant dans la boue et lui assénant force coups de botte. Les chevaliers qui escortaient Ragnard riaient méchamment pour plaire à leur roi. "L'Homme est un loup pour l'Homme, se dit celui-ci en regagnant sa monture. La peur les transforme tous en diables." Ils reprirent leur chemin et après avoir traversé la grande rivière qui séparait son royaume de celui de son frère, Ragnard eut si grande surprise qu'il en perdit son latin. "Dieu aurait créé deux mondes que ça ne m'étonnerait pas!" se dit-il, surpris de voir comment l'automne avait épargné les terres d'Elias, resplendissantes de soleil. À peine les saules avaient commencé à pleurer leurs premières larmes, toutes embrasées d'une belle lumière dorée. Ragnard en ressentit vive jalousie et garda silence jusqu'au château d'Elias. On l'épiait au passage, n'osant trop regarder celui qui, disait-on, ne croyait au Tout-Puissant que parce qu'il avait foi en Satan. Ragnard, quant à lui, se demandait comment Elias gouvernait pour que ses sujets semblent si forts de leur sort et si enflammées d'une joie que tout leur visage trahissait. Arrivés au château, ils furent reçus par le roi, à qui liens de sang et charité chrétienne interdissaient vile réception à son frère. "Elias, dit Ragnard, notre mère n'a toujours vu que toi. Mais aujourd'hui, je viens réclamer mon dû. Je veux le pays de Blas. Il est injuste que soient en ta pocession tant de terres gagnées uniquement par de belles paroles et courtoisie. Aussi, je propose d'organiser un tournoi au cours duquel s'affronteront le meilleur de mes chevaliers et le moins lâche des tiens. Si mon champion devait gagner la joute, à moi le pays de Blas et à toi la saveur nouvelle de la défaite." Toute la cour resta stoïque devant tant d'arrogance. Chacun pensait au malheur qui s'abattrait sur le royaume si l'infâme Ragnard triomphait de son frère. Même Elias restait pensif. Ragnard sembla se réjouir du silence qu'il avait provoqué. "Frère, laissa finalement échapper Elias, jamais ne reculerai devant toi, car ce serait pire lâcheté que craindre le diable en personne. Aussi, reviens dans huit jours et il me fera plaisir de satisfaire à ta requête. Sache encore que ton champion combattra mon vaillant Laurin, le chevalier à l'armure blanche." Ragnard tourna alors les talons en compagnie des quatre chevaliers qui lui servaient d'escorte. Le roi Elias se demanda si le vaillant Laurin, parti combattre de l'autre côté de l'océan, serait de retour à temps pour sauver le pays des griffres de son adversaire. Il regarda Silas, son conseiller, et lut la même inquiétude dans ses yeux. Ainsi se termina la visite du mauvais roi Ragnard à son frère, le brave Elias, que tous les ans honorent encore nobles coeurs et hommes de foi. Dans le sentier bien clair, Laurin chevauchait, tout heureux des trophées qu'il ramenait des contrées lointaines. C'était le soir précédant le tournoi, et Laurin avait été averti du combat qu'il devrait livrer à l'aube par un jeune messager venu à sa rencontre. "Nul doute que je saurai vaincre le fourbe désigné par Ragnard" se disait-il, encouragé par toutes ces récentes victoires qui contribuaient à sa légende. Partout où il passait, on l'appelait Laurin le chevalier sans faute ou Laurin à l'armure blanche. Devant lui, tout à coup, il aperçut une pucelle qui sanglotait contre un arbre, les deux mains dans son visage et la robe prise dans les ronces. Laurin sortit de sa rêverie et s'approcha doucement de la belle. "Mon compagnon voulant me punir d'une infidélité dont je suis innocente m'a conduite ici les yeux bandés afin que je ne puisse revenir chez moi, expliqua-t-elle à Laurin. Et me voilà égarée, toute penaude et sans espoir de regagner mon château avant que tombe la nuit." Laurin, bien que pressé par le temps, ne pouvait manquer de venir en aide à la pucelle et, après l'avoir libérée des méchantes ronces qui la retenaient prisonnière, la prit sur son cheval. Tous deux partirent ainsi à la recherche du mystérieux château. La pucelle avait posé ses mains contre les hanches de Laurin et celui-ci pensait qu'il n'avait jamais vu plus belle créature de sa vie. En sortant de la forêt, après bien des détours et après avoir longé une petite rivière qui se terminait en une jolie chute, Laurin aperçut un château de pierres blanches sorti de nulle part, ety que n'encerclait aucune autre habitation. "Nous y voilà!" s'exclama la jeune fille, toute heureuse d'avoir trouvé gîte pour la nuit. Laurin l'aida à descendre de cheval et la belle l'invita à venir se reposer à l'intérieur. Le chevalier sans faute voulut refuser, sachant qu'il ne devait s'attarder en route, mais la beauté de la pucelle et l'idée réconfortante que quelques heures de sommeil l'aideraient pour le combat achevèrent de le convaincre. Ils pénétrèrent dans le château. Il sembla vide à Laurin, tant ses couloirs étaient silencieux. La pucelle conduisit le chevalier à une grande chambre et l'y fit entrer. Et comme Samson fut pris au piège de Dalila, Laurin, une fois dans la chambre, fut fait prisonnier par sa compagne, qui l'y enferma à double tour. "Par Dieu, que faites-vous?!" s'écria Laurin. La pucelle avait maintenant une voix d'homme. "Laurin le chevalier sans faute vient de perdre son honneur" s'écria-t-elle, de l'autre côté de la porte. "Je suis Drusian l'enchanteur, au service de Ragnard, et tu viens de faire la cour à l'une de mes plus belles incarnartions. Pauvre chevalier! La chair est faible. Hélas! Que n'as-tu pensé d'abord à l'honneur de ton royaume au lieu de céder à ce caprice. Le bon Elias sera peiné de ne pas te voir au moment où il a le plus besoin de toi. Que faire sans Laurin le magnifique? se demandera-t-il. Rien! Et Ragnard triomphera de son frère. À lui le pays de Blas!" Laurin ordonna à Drusian de le libérer sur-le-champ, mais sa requête se heurta au silence. L'enchanteur avait disparut et Laurin, faisant les cent pas, se demanda comment il oserait jamais remettre les pieds à la cour d'Elias s'il parvenait à se tirer de ce mauvais pas. Ainsi, le jour du tournoi, Laurin brillait par son absence. Elias garda espoir jusqu'à la fin, mais plus passait le temps, plus il devenait clair qu'il lui faudrait nommer un autre champion pour affronter le chevalier au masque de fer, un chevalier à la noire armure dont le visage restait caché à tous. Ragnard lui-même n'était pas venu et chacun considérait ce geste comme un affront sans précédent. Elias regarda autour de lui. Beaucoup de ses champions étaient encore dans les contrées lointaines. Comme le royaume était en paix depuis longtemps, il s'était peu soucié de garder avec lui ses meilleurs sujets. Il aurait pu nommer Gil le terrible ou Girart le chevalier à l'amulette, mais par peur de la défaite, il se résolut plutôt à prendre lui-même les armes. Silas, son conseiller, tenta de l'en dissuader. Le roi n'avait pas combattu depuis longtemps, après tout. Mais Elias ne voulut rien entendre. L'envie de défaire lui-même le champion de son frère l'emporta. Il se fit habiller de sa belle armure et apparut sur la plus noble monture du royaume, un beau cheval alezan au souffle puissant. On cria de surprise devant la beauté du spectacle et l'on resta également saisi d'une grande crainte, car le roi lui-même allait combattre pour défendre le royaume. Pendant ce temps, Laurin avait réussi à faire une brèche dans un mur, quelques pierres du château ne tenant plus à grand chose. Il se retrouva dans une autre pièce, celle-là dotée d'une fenêtre, et s'en approcha. La fenêtre donnait sur un toit. Il ne lui en fallait pas plus pour s'échapper et, en peu de temps, il se retrouva à l'air libre. Son cheval l'attendait à la sortie du château. Il fonça sur les chemins au grand galot, confiant d'arriver encore à temps pour combattre le champion de Ragnard, mais à l'approche de la cour d'Elias, il s'aperçu que l'automne était définitivement arrivé. Partout les arbres perdaient leur parure et le sol était aussi boueux qu'après tempête. Le jeune messager qui l'avait prévenu du tournoi vint à sa rencontre. " Grand malheur, messire Laurin! Grand malheur! Le roi Elias a étét défait par Ragnard, son propre frère, qui s'était présenté sous l'armure impénétrable du chevalier au masque de fer. Ainsi, le roi gît dans sa chambre, mortellement blessé à la hanche, et Ragnard deviendra roi des terres de Bretagne au dernier soupir d'Elias!" Laurin ne voulut croire le messager, se méfiant plus que jamais des ruses de Drusian. Il lui mis l'épée à la gorge, mais l'enfant se mit à pleurer, à la fois parce que Laurin le menaçait et parce que son roi, le brave Elias, allait quitter ce monde. Devant les pleurs de l'enfant, Laurin retira son épée et fonça de plus belle au château, où il constata que le jeune messager n'avait pas menti. Partout l'on criait de désespoir, et lorsque Gil le terrible vit Laurin, il se précipita vers lui avec force rage, décidé à punir son compagnon de ne pas être arrivé à temps. Pris de honte, blessé par Gil, Laurin parvint à s'enfuir sur son cheval et trouva refuge dans la forêt, où il s'effondra, priant Dieu de venir chercher son âme. Il est des Hommes comme des bêtes.La sensation de ne pas trouver d'issue devant la mort les résigne à celle-ci lorsqu'elle approche à grand pas. Ainsi Laurin gisait dans la forêt, tout sanglant et délirant, se tordant de douleur et cherchant à mourir. S'il en avait eu la force, il se serait aidé dans cette tâche avec sa propre épée. Mais il n'avait même plus la volonté de se relever tant sa peine était grande. Ses larmes pénétraient la terre, et des larmes, Laurin croyait n'en avoir assez pour trouver le pardon du Dieu de Gloire, à qui il avait fait outrage. À la tombée du jour, il s'endormit, certain de ne plus jamais revoir la lumière. C'est alors qu'il vit en songe un elfe venant à sa rencontre. L'elfe marchait dans la lumière, et tout ce que Laurin pouvait distinguer était sa silhouette étrange. Il avait l'air d'un bossu, ou alors portait-il quelque chose sur son dos. L'elfe passa devant lui et Laurin remarqua qu'il transportait une étrange boîte, comme il n'en avait jamais vue encore. Sur la boîte figurait une sorte de cadran, semblable aux cadrans solaires. Mais celui-ci était doté de deux petites épées, l'une plus courte que l'autre. La boîte était taillée dans le bois, sculptée et ornée de mille motif, et dégageait de beaux reflets argentés. Laurin n'avait jamais rien vu d'aussi mystérieux et d'aussi envoûtant. L'elfe posa la boîte devant lui et s'agenouilla pour lui parler. "Laurin, bien que tu ne puisses plus porter le nom de chevalier sans faute, ni même celui de chevalier à l'armure blanche, car la voilà toute maculée de sang, peut-être te sera-t-il donné de mériter un autre nom. Voici l'horloge de Brocéliande. Elle permet de lire l'heure et de mieux sentir le rythme des saisons, mais elle peut également te servir à remonter le temps et à effacer faute commise. Ton repentir est grand. À toi de t'acquitter de ta tâche et de trouver miséricorde auprès du Dieu Tout-Puissant." L'elfe disparut ensuite dans la forêt, remportant l'horloge avec lui. Dès lors, Laurin se réveilla. Sa blessure était close et, à l'endroit où ses larmes avaient coulé, poussaient des lys. Le chevalier sans nom ne perdit pas de temps. Certain de trouver l'elfe gardien de l'horloge, il partit immédiatement à sa recherche. Il traversa la forêt dans tous les sens, cherchant à reconnaître les arbres qu'il avait vus en songe. Mais il revenait toujours sur ses pas sans jamais trouver le passage de lumière d'où était sorti l'elfe bienfaiteur. Il s'apprêtait à rendre les armes lorsqu'il fit la rencontre d'un lion à la croisée des chemins. Le lion se tenait immobile et le bravait du regard. Laurin arrêta sa monture et demanda à l'animal de bien vouloir lui céder le passage. "Il te faudra pour cela répondre à trois questions, lui répondit le lion. Sans quoi, je me verrai obligé de ne faire qu'une bouchée de toi" Laurin le pria donc de poser ses trois questions sans plus tarder, car il avait fort à faire. - Comment t'appelle-t-on? demanda le lion. - On m'appelait Laurin le chevalier sans faute, ou Laurin à l'armure blanche, répondit celui-ci. Mais aujourd'hui, il est fort à parier qu'on me nomme Laurin le pécheur sur toute la surface de la terre. Car ma faute est grande. - Que cherches-tu? demanda le lion en guise de seconde question. - Le pardon, répondit Laurin, sans dire plus. Le lion paru satisfait et enchaîna avec la troisième question: - Où vont les oiseaux dans le ciel? demanda-t-il à brûle-pourpoint. Laurin braqua ses yeux au ciel et aperçut un vol d'oies sauvages. Il regarda le lion dans les yeux. -Trouver le beau temps, répondit Laurin. Car ces créatures ailées ne supportent guère la désolation de l'hiver. Le lion céda alors le passage à Laurin, qui emprunta un nouveau sentier, plus long et plus vaste que tous les autres. Il fit avancer son cheval au trot, car la peur de l'inconnu s'était emparée de lui et le paysage qui s'offrait à ses yeux était d'une si grande beauté qu'il redoutait faire offense à la splendeur des leiux. C'est alors que l'elfe qui l'avait visité en songe vint à nouveau à sa rencontre. Aucune parole n'était nécessaire puisque tout avait été dit, et Laurin se contenta de suivre son étrange petit compagnon jusqu'à l'endroit où se trouvait l'horloge, au pied du plus grand chêne de la forêt. "Jamais cette horloge ne sortira de la forêt de Brocéliande, car c'est elle qui régit le cours du temps, lui dit l'elfe. Mais ton coeur est pur,Laurin, et parce que tu seras le seul à avoir pu reculer le temps pour effacer faute humaine, on t'appellera désormais Laurin le chevalier à l'horloge. Sois toujours digne de ce nom et le Dieu d'infinie bonté t'accordera son pardon." Laurin déposa son épée devant l'elfe et plia la tête, si ému qu'il faillit bien en pleurer. L'elfe poursuivit son discours: - Au moment où je ferai bouger les aiguilles du grand cadran, tu te retrouveras sur le sentier qui te ramenait chez toi, la veille même du tournoi. Sache éviter les pièges que Ragnard te tend, et tu pourras être de retour pour le combat. Laurin remercia l'elfe, reprit son épée, enfourcha son cheval et se tint prêt. Lorsque l'elfe posa son doigt sur la petite auguille du cadran, Laurin Laurin battit des paupières nerveusement et, en moins d'un battement, se retrouva sur le sentier qui le reconduisait au château d'Elias. Un jeune messager venait à sa rencontre avec nouvelle d'un tournoi. Laurin rencontra à nouveau la pucelle. Il pensa tout d'abord faire l'aveugle, mais redouta que Drusian ne se méfie de ce manque de courtoisie. Il vint donc à sa rescousse comme il l'avait fait auparavant, et tous deux partirent à la recherche du mystérieux château où la belle disait loger. Lorsqu'il apparut à leurs yeux, Laurin sentit en son coeur une colère telle qu'il en avait rarement éprouvée, car la belle demeure aux pierres blanches lui rappelait le triste épisode qui avait failli lui coûter la vie et conduire le royaume à sa perte. Il pénétra dans la demeure en compagnie de la pucelle en se demandant comment il avait pu être si naïf lors de sa première visite. Les château était manifestement vide et le silence tapageur qui régnait en ces lieux aurait dû aiguiser tout de suite sa méfiance. Mais l'Homme cède parfois à des rêveries qui l'empêchent de sentir le sol s'ouvrir sous ses pas. La jeune fille avait de longs cheveux d'or et leur éclat était tel qu'ils avaient dû éblouir Laurin lors de leur rencontre. Laurin monta à l'étage en compagnie de la pucelle et, au moment où celle-ci l'invitait à entrer dans la chambre, il l'y poussa des deux mains et referma la lourde porte de bois sur elle. La clef était dans la serrure et le chevalier s'en servit pour enfermer Drusian à double tour. "Il te faudra plus qu'un jolie minois et de belles paroles pour m'empêcher d'aller défendre mon roi et vaincre ton maître, cria Laurin à Drusian l'enchanteur. Et bien que tes pouvoirs te permettent de te libérer de cette chambre à ta guise, sache que plus rien ne saura m'arrêter maintenant. Je vaincrai le chevalier au masque de fer, Drusian. Que tu le veuilles ou non!" Laurin laissa l'enchanteur soliloquer dans la chambre close et prit ses jambes à son cou. Il fallait faire vite. Une fois arrivé à la cour du roi Elias, le chevalier à l'horloge fut témoin du spectacle redoutable qu'il avait jadis manqué. Le roi venait d'apparaître monté sur son alezan et s'apprêtait à foncer sur son ennemi, dont la noirceur de l'armure absorbait la lumière du jour. Laurin cria du haut de la colline où il se trouvait et toutes les têtes se tournèrent en même temps, même celle du roi Elias, bienheureux de retrouver son champion. Le chevalier au masque de fer demeurait impénétrable. Moult baiser furent échangés entre Laurin et ses compagnons, contents de le savoir vivant et de le voir revenu à temps pour prendre les armes. Le tournoi fut retardé de quelques minutes, le temps qu'il fallût au chevalier pour changer sa monture et lustrer sa belle armure blanche. Il la regarda d'un oeil nouveau. Après le tournoi, il raconterait toute sa mésaventure à son roi, demanderait son pardon, et trouverait alors son véritable nom: Laurin le chevalier à l'Horloge. Mais il y avait encore tant à faire. Laurin prit ses armes et combattit fièrement le chevalier au masque de fer, qu'il savait être Ragnard. À la dernière manche, il parvint à le faire chuter de sa monture et lui arracha son masque devant la cour. Elias constata alors avec stupéfaction la triste vérité et s'enquit de la raison pour laquelle Raganrd avait tenu à combattre lui-même au lieu de nommer un de ses champions. Laurin prit parole et raconta comment Drusian, de connivence avec Ragnard, lui avait tendu un piège afin de l'empêcher de rentrer à temps pour le tournoi. Sans doute Ragnard savait-il qu'Elias prendrait lui-même les armes en l'absence de son champion. Aussi, guidé par la soif de vengeance, avait-il tenu à tuer de ses mains son frère et s'était-il résolu à se présenter sous l'armure du chevalier au masque de fer. Elias écouta la suite de l'histoire sans mot dire, perché au sommet de sa grande sagesse, impassible devant le récit de la faute commise par son champion. Pendant ce temps, Gil le terrible et Girart le chevalier à l'amulette avaient fait prisonnier Ragnard et le tenaient à leur merci. Partout des voix fusaient pour exiger sa pendaison. Elias les fit taire. Il remercia d'abord Laurin de sa franchise et cria au bon peuple de répandre le nom le plus noble qui soit dans toute la contrée: dorénavant, le plus grand chevalier de la cour se nommerait Laurin, le chevalier à l'Horloge. Puis, Elias jeta un regard de tristesse sur son frère, qui attendait sans remords son châtiment. Au moment où le roi allait se prononcer, un étrange petit visiteur détourna l'attention des membres de la cour et de tous les sujets venus assister au tournoi. L'elfe gardien de l'Horloge venait de faire son entrée à la cour d'Elias. Il ne portait plus l'horloge sur son dos, mais tenait Drusian, pieds et poings liés, enchaîné à une longue chaîne d'or. Elias reconnut en l'elfe son sauveur, au même titre que Laurin l'intrépide, et le remercia en serviteur fidèle. L'elfe ne demanda qu'une faveur en échange de ses loyaux services: que lui soient accordées les vies de Ragnard et de sa noire conscience, Drusian l'enchanteur. Bien qu'Elias trouvât maigre la récompense exigée par le gardien de l'horloge, il lui accorda cette faveur et l'elfe déclara alors qu'il condamnait les deux comparses, non pas à la pendaison, car c'était là châtiment peu convenable et soulagement du coeur trop rapide pour crime de cette importance, mais à errer dans la forêt de Brocéliande jusqu'à ce que le jour s'y lève. Ragnard et Drusian échangèrent un regard complice et moqueur: sûrement ce petit bonhomme était fou tant son châtiment paraissait infime. Elias, bien que stupéfait, avait déjà donné sa parole et ne pouvait revenir sur sa décision. Laurin ne comprenait guère mais plaçait toute sa foi en l'elfe qui l'avait tiré de son mauvais pas. L'elfe partit donc avec ses deux prisonniers et quatre des meilleurs chevaliers de la cour d'Elias pour assurer sa protection. Laurin se tourna vers son roi et vit une larme tomber de la joue d'Elias devant le départ de son frère. Le chevalier à l'Horloge fut saisi par tant de bonté et détourna la tête. Au loin, un vol d'oies sauvages traversait le ciel. L'automne s'installait enfin, mais la lumière était belle à nouveau. Chacun quitta le lieu du tournoi avec grande nostalgie, car l'avenir du royaume venait de s'y jouer, mais moments de gloire y avaient également été vécus. Le royaume continua de prospérer. Elias ajouta à ses nombreux territoires le royaume de son frère, et plus jamais coeur noir comme l'hiver n'eut l'impression que Dieu avait créé deux mondes au lieu d'un. Aujourd'hui encore, on s'interroge sur ce qui est arrivé à Ragnard et Drusian l'enchanteur. Certains racontent qu'ils furent dévorés sans pitié par le lion de la forêt, mais la légende veut qu'ils ne virent jamais le jour se lever. Comme si l'elfe de la forêt de Brocéliande s'était chargé de reculer la petite aiguille de l'horloge à chaque lever du soleil, les replongeant tous deux dans la nuit pour l'éternité. Cela tiendrait du prodige, il est vrai, mais le petit gardien de la forêt n'était-il pas maître du temps? C'est du moins ce que prétendit jusqu'à sa mort Laurin, le chevalier à l'Horloge. |