J.R.R. Tolkien
1892-1973
 
 
Il vivait dans un petit cottage, à l'ombre des collèges de la très gothique université d'Oxford. Conservateur convaicu, il accordait une attention distraite aux événements de son temps et négligeait soigneusement la lecture des journaux. Hormis un dur séjour dans les tranchées françaises pendant la Première Guerre mondiale, son existence entière fut d'une simplicité et d'une régularité désarmante. C'est que le monde contemporain avait pour lui infiniment moins d'intérêt que celui des anciennes littératures saxonnes, germaniques et celtiques qu'il enseignait à Oxford, et qui devait lui inspirer une oeuvre sans précédent. 

Tous les jeudis soirs, dans le courant des années trente, John Ronald Reuel Tolkien retrouvait, en effet, ses amis, jeunes érudits et vieux lettrés d'Oxford, pour fumer paisiblement la pipe, évoquer les fabuleuses péripéties des Niebelungen ou de la geste immémoriale de Cù Chulainn, le héros mythique de l'Irlande, et lire à haute voix les premiers chapitres de Bilbo le Hobbit ou du Seigneur des Anneaux, ces contes qui feraient bientôt de lui l'un des écrivains les plus fameux de la seconde moitié du XXè siècle. 

Né en 1892 à Bloemfontein (Afrique du Sud), John Ronald Reuel Tolkien passe son enfance, après la mort de son père en 1896, au village de Sarehole près de Birmingham (Angleterre), ville dont sa famille est originaire. Diplômé d'Oxford en 1919, il travaille au célèbre "Dictionnaire d'Oxford", obtient ensuite un poste de maître assistant à Leeds, puis une chaire de langue ancienne (anglo-saxon) de 1925 à 1945 et de langue et littérature anglaises de 1945 à sa retraite en 1959. 

Spécialiste de philologie qui fait autorité dans le monde entier, J.R.R. Tolkien a écrit en 1936 Le Hobbit, considéré comme un classique de la littérature enfantine et a travaillé quatorze ans au cycle intitulé Le Seigneur des Anneaux composé de: La fraternité de l'Anneau (1954), Les deux tours (1954) et Le retour du roi (1955). Une oeuvre magistrale qui s'est imposée dans tous les pays. 

Traduite partout dans le monde, portée à l'écran par le dessinateur américain Ralph Bakshi, l'oeuvre de Tolkien ressuscite tout un univers enfoui dans le patrimoine légendaire des peuples européens: des magiciens, des elfes, des nains, des chevaliers aux armes étincelantes, des fées, des trolls, des orques et toutes sortes de créatures folkloriques, dont les plus célèbres demeurent ces délicieux petits "hobbits" auxquels leur créateur s'identifiait volontiers, et qui incarnaient à ses yeux une vieille Angleterre à jamais disparue. C'est que dans ces récits, qui empruntent à la fois aux sagas scandinaves, aux romans de la Table ronde et aux sombres crépuscules de la mythologie germanique, perce la nostalgie de ces campagnes verdoyantes où il faisait si bon raconter des histoires au coin du feu. Et, comme il l'écrivait un jour dans un très remarquable essai sur le conte de fées: "La marmite de soupe, le chaudron du conte, a toujours bouilli et on y a constamment ajouté de nouveaux éléments friands ou non". 

Les "éléments" que Tolkien a jetés personnellement dans le chaudron du conte sont en l'occurence tout particulièrement "friands", et la lecture de Bilbo le Hobbit, du Seigneur des Anneaux ou du Silmarillion, ses trois principaux ouvrages, est assurément des plus délectables, car elle nous entraîne à la découverte de royaumes dont la géographie chimérique semble obéir à la seule fantaisie du conteur. 

Mais la prouesse de Tolkien, ce n'est pas seulement d'avoir tapé ses oeuvres dans son garage. C'est lui qui fit de la fantaisie un genre littéraire muni de son propre marché. Il pensait seulement fabriquer un monde, le peupler de personnages, faire la chronique de ses lignages et de ses lois. Tolkien a toujours soutenu que la Terre du Milieu n'était pas une allégorie. De fait, il détestait l'allégorie. Il s'attachait fermement et dénifitivement à l'art pur de conter. Ce qu'il oubliait, c'est que tel un dieu, il pouvait créer un univers, mais que celui-ci, mécaniquement, allait fonctionner sans lui. 

Si transformé que j'ai été par Tolkien, mon cas est sans commune mesure avec les bouleversements induits chez les écrivains (et plus spécialement les écrivains de fantaisie) par la découverte de cet auteur. Car après le succès du Seigneur des Anneaux, ce fut la ruée vers les bénéfices. Editeurs et libraires s'unirent pour inventer le marché de la fantaisie comme genre à part. 

Mais ces perspectives vertigineuses, qui nous plongent en des âges où les hommes avaient des pouvoirs que l'on ne reconnaît généralement qu'aux dieux, où les arbres parlaient aux bêtes et où les entrailles de la terre étaient peuplées de maléfices et de monstres hideux, hantaient toujours Tolkien le 2 septembre 1973. Ce jour là, en effet, le merveilleux conteur anglais emportait dans la mort mille et mille histoires, qu'une existence pourtant bien remplie ne lui avait pas laissé le temps de nous raconter. 
 
 

"Tout ce dont je me souviens, à propos du point de départ de mon livre Le Hobbit, c'est que j'étais assis, corrigeant des devoirs du certificat d'études et habité par la fatigue permanente née de cette tâche annuellement imposée aux universitaires impécunieux. Sur une page blanche j'ai griffoné ceci : "Dans un trou du sol vivait un Hobbit." Pourquoi l'ai-je fait ? Je ne l'ai pas su. Je l'ignore encore" 

- John Ronald Reuel Tolkien